Les Dimensions cachées de la pauvreté à la Banque Mondiale – Washington DC

Mon expérience à la conférence du Mouvement à la Banque mondiale de Washington.
par Christine Jutras-Tarakdjian

Christine Jutras-Tarakdjian

Lorsque j’ai appris qu’une conférence internationale sur le thème de la lutte contre la pauvreté allait se tenir à Washington, j’ai ressenti le besoin d’y assister en personne. C’était l’occasion de rencontrer d’autres militants du Mouvement ATD Quart Monde qui font de cette cause leur cheval de bataille et qui cherchent des solutions pour offrir à tous un partage équitable des richesses ainsi qu’un monde où règne la justice sociale. Aussi, sachant que la pauvreté ne connaît pas de frontières, je voulais écouter les témoignages d’experts et de personnes ayant fait l’expérience de la pauvreté, que cela soit en Amérique du Nord ou ailleurs dans le monde.

Travaillant auprès de familles immigrantes issus de milieux défavorisés, je suis d’autant plus sensible à la souffrance et au désespoir que peuvent engendrer la pauvreté et les inégalités sociales. C’est donc en tant qu’alliée du Mouvement ATD Quart Monde et que fière représentante de ces familles affligées que j’ai mis le cap sur Washington avec mon conjoint et notre fille de neuf ans. Je voulais approfondir mes connaissances sur les enjeux liés à la pauvreté, mais aussi revenir de cette conférence avec une meilleure compréhension de ce que vivent ces personnes au quotidien et des outils pour pouvoir mieux les accompagner dans leur combat. Effectivement, j’ai compris à travers les différents exposés présentés à cette conférence que les personnes vivant en situation de pauvreté comptent parmi les principaux acteurs du changement.

Dès que nous avons mis les pieds à la Banque mondiale, j’ai été touchée de voir tant de personnes venant des quatre coins du globe désireuses, tout comme moi, d’analyser ce phénomène, de discuter, de comprendre, d’écouter, de se questionner et de constater l’état de la situation actuelle sur notre planète. Ce qui a aussi attiré mon attention, c’est le respect et le non-jugement dans lequel ont été accueillis les témoignages de certains conférenciers, militants ou participants ayant vécu de près ou de loin la pauvreté.

Entre autres, lorsque j’ai assisté à un atelier sur la pauvreté en Bolivie, j’ai été ébranlée par le témoignage d’une femme qui révélait que la pauvreté avait suscité en elle une souffrance dans le corps et dans le coeur, comme si ses tentacules s’épandaient à travers tout son être physique et spirituel. Même si j’essayais de me mettre à sa place et de ressentir un moment ce qu’elle avait pu vivre, j’ai compris à travers ses déclarations que je n’y arriverais jamais tout à fait. Le jugement de la société à l’endroit des plus pauvres, l’exploitation et la maltraitance dont ils sont le plus souvent victimes, l’exclusion et la déshumanisation font en sorte qu’ils ont parfois l’impression d’être des « sous-êtres » terrés dans l’ombre qui se doivent d’être soumis à des supérieurs profiteurs, insensibles et cruels. Ils doivent ainsi se soumettre à des conditions de travail injustes et inhumaines pour pouvoir notamment soutenir leur famille. C’est pourquoi je pense que les Universités populaires d’ATD Quart Monde permettent de briser l’isolement de ces personnes en plus de leur offrir une tribune pour exprimer leurs idées et faire tomber les préjugés.

C’est d’ailleurs ce que propose le modèle IDEEP (Inclusive and deliberative elaboration and evaluation of policies) présenté lors de la conférence. En effet, ce modèle suggère une collaboration entre les personnes pauvres elles-mêmes, les intervenants sur le terrain et les décideurs politiques. Lors d’un atelier de la conférence, il a été question de « connaissances transformatrices », soit d’éléments porteurs de changements ne pouvant venir que des personnes faisant l’expérience de la pauvreté. En effet, donner une voix à ces personnes permet leur empowerment et la co-construction de solutions entre les différents acteurs.

Pendant la conférence, une animatrice nous a posé une question très significative : « Pourquoi la lutte contre la pauvreté est importante pour vous? » Instantanément, j’ai répondu que c’était parce que la justice sociale, l’égalité des chances et la dignité humaine étaient très importants pour moi. Redistribuer équitablement les richesses de ce monde, réduire les inégalités en militant pour un monde plus juste, mettre un frein à l’avidité des ultra-riches pour l’argent , se respecter mutuellement et faire preuve d’empathie contribueraient largement à faire évoluer les choses. C’est ce que mon expérience à Washington m’a permis de clarifier de façon plus concrète dans mon esprit. J’y ai fait des rencontres marquantes, dont celles de personnes courageuses et engagées qui m’ont incitée à poursuivre ma lutte contre la pauvreté et à continuer d’accompagner les plus plus pauvres dans leur cheminement, tout en mettant en valeur leur précieux savoir.