Droit de vivre en famille et pauvreté
Article parut dans la revue Nouvelles pratiques sociales, co-écrit par Leo Berenger Benteux, Brigitte Dubé, Marie-Line Bouthillette et Daniel Marineau, membres du comité porteur.
Lisez l’article au complet sur érudit, ici: https://www.erudit.org/en/journals/nps/2023-v33-n2-nps08939/1107888ar/
Résumé
La pauvreté des enfants est un phénomène croissant dans les pays de l’OCDE. Pour y répondre, de nombreux États comme le Québec continuent de recourir au retrait des enfants de leur famille malgré les conséquences néfastes sur les enfants, les parents et les familles. En permettant le travail de réflexion et d’analyse de parents en situation de pauvreté faisant face aux mesures de placement judiciaire à travers un cycle de trois universités populaires Quart Monde, le mouvement de lutte à la pauvreté ATD Quart Monde a fait émerger des savoirs qui transforment les pratiques d’intervention en reconnaissant les parents comme partenaires.
Extrait
Introduction
Protéger les enfants de la pauvreté en les retirant de leur famille
La pauvreté des enfants, violation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (Nations Unies, 1989) ratifiée par le Québec et le Canada en 1991, est un enjeu rencontré autant dans les pays du Sud que dans ceux du Nord, l’UNICEF rappelant que « la proportion d’enfants vivant dans l’indigence a augmenté dans 17 des 24 pays de l’OCDE » (UNICEF, 2005, p. 2).
Parmi différentes mesures institutionnelles pour protéger les enfants de la pauvreté, les retirer de leur famille continue d’être une option envisagée par de nombreux pays, et ce, malgré les impacts destructeurs sur les enfants, leurs parents et les familles (Chapponais, 2005, p. 86), comme l’indiquait ce parent :
quand on nous retire des enfants, c’est comme si nous perdions la vie. Et puis nous nous battons constamment pour eux. Quand nous allons au tribunal, ce sont des crises d’angoisse : qu’est-ce que nous allons leur dire ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de nous ? Nous mettons nos enfants au monde, mais c’est la Justice qui décidecité dans ATD Quart Monde, 2001
Une Justice qui reconnaît, parfois et longtemps après, la nature abusive des interventions dont elle a été coupable à des fins d’assistance comme, en Suisse, le gouvernement fédéral reconnaissant, 22 ans après la fin des placements de dizaines de milliers d’enfants entre 1930 et 1981 : « Vous n’êtes en rien coupables de ce que vous avez subi. […] Au nom du Gouvernement suisse, sincèrement et du fond du coeur, je vous demande pardon pour les souffrances qui vous ont été infligées » (cité dans Chatton-Brand, 2013).
Au Québec, la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) indique que la proportion des enfants pris en charge par ses services ou retiré de leur famille pour cause de négligence ou risques de négligence s’élève respectivement à 48,5 % et 38,1 % (DPJ, 2019). Or, ce qui est considéré comme négligence ou risques de négligence est le plus souvent lié au cumul de précarités, conséquences directes des conditions de pauvreté dans lesquelles vivent ces familles (ATD Quart Monde, 2020).
Les savoirs des familles ayant l’expérience de la pauvreté dans la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse
En 2019, pour répondre aux interrogations de la population québécoise envers le système de protection de la jeunesse et le soutien aux familles en situation de vulnérabilité, le gouvernement du Québec a mis en place la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) visant à « entreprendre une réflexion qui porte non seulement sur les services de protection de la jeunesse, mais également sur la loi qui l’encadre, sur le rôle des tribunaux, des services sociaux et des autres acteurs concernés » (CSDEPJ, p. 13).
Dans le cadre de cette commission, chercheur.e.s universitaires, directions de services gouvernementaux et professionnel.le.s de l’intervention ont été invité.e.s à soumettre des mémoires et à participer à des audiences publiques. Le mouvement de lutte à la pauvreté ATD Quart Monde a souhaité y contribuer en apportant « la vie et la réflexion de personnes en situation de pauvreté directement concernées par la Protection de la Jeunesse » (ATD Quart Monde, 2020, p. 3) en travaillant avec des parents qui avaient fait face à des mesures de placement judiciaire de la DPJ, travail qui a mené à l’écriture du mémoire « Réussir la protection de la jeunesse avec les familles vulnérables » (ATD Quart Monde, 2020) et à l’audience accordée, le 5 février 2020, au sein de la Commission Laurent.
Ce travail a permis de décrire le sentiment d’impuissance partagé par des parents face aux conditions de vie difficiles et aux besoins de leur famille et de la disqualification fréquente par les intervenant.e.s de leurs savoirs, de leurs forces et des efforts immenses qu’ils accomplissent pour protéger leurs enfants (ATD Quart Monde, 2021). Pour poursuivre ces réflexions, le mouvement ATD Quart Monde a ainsi organisé un cycle de trois universités populaires Quart Monde (UPQM) pour permettre d’identifier les obstacles que la pauvreté mettait en travers de la vie en famille.
Les universités populaires Quart Monde : construire un savoir Émancipateur pour mettre fin À la grande pauvreté
Les universités populaires Quart Monde sont une des actions du mouvement ATD Quart Monde. Ce mouvement international, fondé en 1957 par Joseph Wresinski et des familles d’un bidonville en périphérie parisienne et aujourd’hui présent dans plus de 30 pays, rassemble des personnes qui s’engagent pour mettre fin à la grande pauvreté et pour construire une société plus juste qui respecte les droits fondamentaux et l’égale dignité de tous.tes. Depuis 40 ans au Canada, le Mouvement ATD Quart Monde oeuvre à la construction d’une société qui reconnaît le courage et la capacité d’action des personnes en situation de grande pauvreté et les considère en véritables partenaires d’analyse et d’action pour éliminer la pauvreté, notamment à travers le dispositif des universités populaires Quart Monde.
Les universités populaires Quart Monde se situent dans les traditions d’éducation populaire et des universités populaires en Europe, mais en effectuant une rupture autant avec les institutions universitaires comme seules détentrices et autorités du savoir qu’avec le schéma présent dans les autres universités populaires d’une transmission des savoirs de la personne savante vers la personne ignorante. Au contraire, Tardieu (2012) constate que « l’université populaire Quart Monde opère un renversement dans la production de savoirs dans la mesure où les personnes qui vivent la grande pauvreté sont à la source de cette production » (p. 103).
L’objectif des universités populaires Quart Monde est d’être, d’après Leblanc, René et Boyer (2013) :
un lieu d’enseignement où les personnes en situation de pauvreté peuvent développer leurs capacités d’analyse et leurs connaissances, bâtir et transmettre leur savoir. Elle permet de plus à toute personne qui ne vit pas dans la grande pauvreté d’apprendre à lutter contre cette pauvreté, avec ceux et celles qui la vivent, devenant ainsi un outil pertinent à la lutte à la pauvreté, au Québec ou ailleurs en Occidentp. 8
Au Québec, ATD Quart Monde organise, depuis 2008, 3 à 4 fois par an, une université populaire Quart Monde autour de sujets variés en lien avec l’expérience de la pauvreté, tels que les préjugés envers les personnes en situation de pauvreté, l’accès aux soins, le bonheur, la télévision, le logement ou la réussite scolaire.
Trois étapes se succèdent permettant la progression de la pensée des participant.e.s en partant de leur expérience personnelle lors de la réception d’une lettre d’invitation et de quelques questions pour guider leurs réflexions, puis leurs réflexions seront ensuite travaillées et approfondies à travers une mise en commun au sein de leur groupe local. Ce qui mènera, quelques semaines plus tard, à la soirée d’université populaire Quart Monde qui rassemble à Montréal la plupart de ces groupes pour construire ensemble une analyse collective et la confronter à celle d’une personne invitée en vue d’apporter d’autres types de savoirs issus soit du monde universitaire soit des pratiques professionnelles (Leblanc, René, Boyer, 2013).
Un comité porteur, composé de personnes ayant l’expérience de la pauvreté, de membres de l’équipe permanente salariée d’ATD Quart Monde et de personnes alliées du Mouvement, coordonne le déroulement de chacune des universités populaires Quart Monde en définissant ensemble les questions posées dans les groupes locaux de préparation, en décidant ensemble de l’animation des rencontres d’universités populaires et en analysant ensemble les échanges pour en produire un compte rendu et les orientations de l’UPQM suivante. […]
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