L’insécurité alimentaire ou le gaspillage alimentaire

(Ce texte de Daniel Marineau a été publié sur la Presse Gauche.)

En cette journée internationale de l’alimentation, le Mouvement ATD Quart Monde appelle à l’action contre l’insécurité alimentaire, quitte à délaisser la lutte au gaspillage alimentaire.

À quoi servent nos valeureuses banques alimentaires, nos efforts et notre générosité? Est-ce qu’elles sont là pour combattre l’insécurité alimentaire des personnes vulnérables financièrement? Si tel était le cas, nous agirions en tenant compte des besoins essentiels des personnes qui vivent l’insécurité alimentaire. Nous nous demanderions qu’est-ce qui manque dans leur alimentation et nous nous assurerions de pourvoir à ces besoins. Non, nous avons fait de nos banques alimentaires une courroie du marché au service de la lutte au gaspillage alimentaire. Il est faux de croire que l’insécurité et le gaspillage s’équivalent. Il suffit de considérer les denrées distribuées par les banques alimentaires. Souvent, à la maison Quart Monde, nos membres nous apportent ce qu’ils ne mangeront pas dans leur panier alimentaire. Une personne diabétique nous partage les biscuits, bonbons et gâteaux qu’elle reçoit. Elle nous apporte le surplus, car elle en a tout de même garder et manger. Ces produits ne viennent pas d’une lutte à l’insécurité alimentaire, car ils sont toxiques pour elle. Avec des produits à l’opposé, une personne nous apporte des branches d’aloès. Comment de l’aloès se retrouve dans un panier alimentaire? Ce n’est pas le fruit d’une réflexion sur les qualités nutritives de l’aloès. Ce n’est pas une recommandation d’un ou d’une nutritionniste. Non, c’est un surplus qui allait être gaspillé. Mais si une personne se disait :  « Hum, c’est bon, je vais ajouter cela à mon alimentation. » Elle ne pourrait pas, car c’est difficile à trouver et c’est inabordable.

Quelle denrée devrait-on trouver dans une stratégie de lutte à l’insécurité alimentaire? Je vous laisse consulter le guide alimentaire canadien. Que trouve-t-on comme denrée dans nos banques alimentaires? Des produits ultra-transformés, des fruits et des légumes trop mûrs, des produits qui sont presque ou déjà dépassés la date de péremption, etc. Ce n’est pas la faute à l’énergie des personnes qui se démènent pour animer notre générosité dans les banques alimentaires. Elles cherchent et trouvent ce qui est disponible avec leur faibles moyens. Mais tout de même, lorsqu’on considère la mission de Moisson Montréal ou de Les Banques alimentaires du Québec, nous trouvons d’abord « Récupérer, partager, nourrir. Nous sommes un réseau efficace et solidaire qui achemine et valorise les dons de nourriture vers les personnes qui en ont le plus besoin à travers tout le Québec. » Rien de méchant, mais rien qui vise à combattre l’insécurité alimentaire1.

Et qui se retrouvera à gaspiller après ces récupérations, ces distributions et ces partages, après toute cette générosité? Les personnes les plus pauvres ont encore la honte pour elles, celle de jeter les produits périmés, trop mûrs et pourris, ou les nouveautés rejetées par les consommateurs. Les producteurs ne gaspillent plus, ils redonnent. Les grandes surfaces ne gaspillent plus, elles partagent. Les consommateurs gaspillent moins, ils s’abstiennent d’acheter ce qui ne leur plaît pas. Il reste en bout de ligne, les personnes qui n’ont pas le choix de recevoir un panier. Le marché et notre société utilisent donc les personnes en situation de pauvreté pour laver leur conscience face au gaspillage alimentaire.

Décembre approchera, sans surprise, cette année encore les banques alimentaires seront soumises à un stress énorme et elles manqueront de moyens. Elles feront de leur mieux avec ce qu’on leur donnera. Mais elles ne s’attaqueront pas à l’insécurité alimentaire.
Pourraient-elles refuser les denrées qui ne sont pas bonnes?
Est-ce que Moisson (Montréal, Rive-Sud, Québec, Estrie, Etc) oseraient dire aux entreprises qu’elles ne récupéreront pas les produits ultra-transformés, ni ceux périmés?
Est-ce que les philanthropes et les fondations pourraient placer la réalité des personnes en situation de pauvreté en haut de leurs objectifs et financer une authentique lutte à l’insécurité alimentaire?
Est-ce que notre Gouvernement adoptera un 4e plan de lutte contre la pauvreté qui permette aux personnes d’avoir un revenu suffisant pour se nourrir dignement, sans dépendre de la charité?

Demain, le 17 octobre est la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, la journée pour donner une voix aux personnes en situation de pauvreté et qui ne sont pas entendues dans la société. Dans plusieurs lieux du Québec, ces personnes témoigneront de l’énergie que leur exige la pauvreté, comme celle d’aller faire face à la nécessité de récupérer un panier alimentaire qui ne solutionnera pas leur insécurité alimentaire.

1 L’insécurité alimentaire (IA) désigne la privation des individus et des ménages pour assurer leur besoin de se nourrir convenablement afin de mener une vie saine et active. Défini comme étant un accès inadéquat ou incertain aux aliments en raison d’un manque de ressources financières (Statistiques Canada 2011-2012), l’IA est un problème social et de santé publique important au Canada. À Montréal, 234 500 personnes vivent en situation d’insécurité alimentaire, soit 13,6 % de la population (DRSP Montréal, 2019).
(Le Conseil Système alimentaire montréalais https://csam.ca/insecurite-alimentaire/:)