Avis sur le rapport préliminaire: Commission Laurent
Le 26 mars 2021, le Mouvement ATD Quart Monde a transmis un avis à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Voici cet avis.
Avis sur le rapport préliminaire
Madame Laurent,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,
Le dossier de la protection de la jeunesse est au cœur des préoccupations des membres du Mouvement ATD Quart Monde. C’est pourquoi en février 2020, notre Mouvement vous avait présenté son mémoire intitulé Réussir la protection de la jeunesse avec les familles vulnérables. Les membres ont également lu avec grand intérêt votre rapport intérimaire. Comme nos Universités populaires Quart Monde1 ont « la famille » pour thème cette année, nous avons échangé avec nos membres dans ce cadre autour d’extraits de votre rapport, en février dernier.
Dans ce présent avis nous visons, en premier lieu, à rappeler le lien entre le grand nombre de placements et la pauvreté ; en second lieu, à communiquer l’inquiétude des parents en situation de pauvreté, dont les contributions et les efforts qu’ils font ne sont pas reconnus et, en troisième lieu, à faire appel à une politique familiale et à une politique de lutte à la pauvreté qui protégeront les enfants.
En premier lieu, nous rappelons la première proposition de notre mémoire2 : Reconnaître le lien entre un grand nombre de placements et la pauvreté soit qu’une politique de protection de la jeunesse doit être soutenue par une volonté affirmée de lutter contre la pauvreté. Le Bilan des DPJ/DP 2019 indiquait que 48,5% des placements sont pour cause de négligence ou de risques de négligence3. Or, ce qui est considéré comme négligence, ou risques de négligence, est le plus souvent la conséquence du cumul de précarités, donc de la grande pauvreté.
À la lecture de votre rapport préliminaire, nous avons constaté dans le vocabulaire que le mot « famille » apparaît 25 fois et le mot « parents » seulement 5 fois. Nous avons aussi relevé les deux orientations suivantes du futur rapport final : « visera à développer un positionnement sociétal qui favorisera l’établissement d’une société bienveillante à l’égard des enfants » ainsi que « la nécessité pour l’enfant d’avoir une famille pour la vie qui le soutient et l’accompagne ».
Ces orientations et ce vocabulaire établissent une distance entre le rôle des parents biologiques et leurs enfants et nous comprenons que le mot famille peut être attribué à d’autres milieux de vie que la famille d’origine. Ainsi, la question soulevée parmi nous a été la suivante : quelle place est-ce que les parents biologiques auront pour soutenir et accompagner leurs enfants?
Face à ces orientations et en tenant compte de l’expérience de plusieurs parents avec la DPJ, nous voudrions réitérer que les parents en situation de pauvreté se sentent dépossédés de leur parentalité4. La dépossession du pouvoir d’agir est une dimension centrale et cachée de la pauvreté, identifiée par la recherche internationale menée par l’Université d’Oxford et d’ATD Quart Monde (2019).
En deuxième lieu, les parents en situation de pauvreté aspirent à l’établissement d’une société bienveillante à l’égard des enfants et à leur égard. Ils ne veulent plus d’un système qui leur impose une performance sous la menace d’une disqualification parce qu’ils manquent de moyens financiers ou parce qu’ils auraient grandi en dehors d’un modèle familial qui corresponde à celui des personnes qui font les signalements.
Compte tenu du sentiment d’impuissance face à la pauvreté et aux besoins de leur famille, les parents veulent être soutenus, appuyés et équipés. Dans les conditions de vie difficiles, ils font des efforts qui ne trouvent pas de reconnaissance auprès des intervenants de la DPJ. Ce qui nous amène à répéter une autre de nos propositions : réaliser des plans d’interventions qui prennent en considération les parents dans leurs aspirations, leurs forces et leurs efforts, afin d’avoir un effet mobilisateur.
Nous souhaiterions que vous inscriviez une priorité effective au maintien des enfants dans leur famille biologique et non légale. Nous avons appris au cours des audiences de la Commission que les travailleurs sociaux de la DPJ, pour protéger les enfants, doivent monter un dossier contre les parents afin de démontrer leur disqualification. Or, les parents en situation de pauvreté aspirent à être reconnus et équipés et non pas à être disqualifiés.
Nous apprécions un de vos constats comme quoi « l’enfant n’a pas de voix et ses droits doivent être réaffirmés. » Mais qu’arrivera-t-il si l’enfant demandait de demeurer chez lui, avec ses parents ? Nous voudrions que votre rapport ne permette pas une interprétation qui mènerait les intervenants de la DPJ à discréditer, à déprécier et à humilier les parents auprès de l’enfant ce qui minerait son attachement envers eux.
En troisième lieu, nous avons conscience que défendre les droits et les besoins des parents en situation de pauvreté n’est pas perçu comme étant la mission du DPJ. Il reste que son « intervention doit viser : à mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant; et à éviter que cette situation se reproduise5. »
Mettre fin à la pauvreté et la précarité et éviter qu’elles ne se reproduisent n’est pas uniquement affaire de la DPJ. Cette mission est sociale. Alors, comme vous le constatez dans votre rapport préliminaire, la protection des enfants est le devoir collectif de toute une société. Nous vous invitons à rappeler et à insister auprès du gouvernement sur le fait que le renforcement des communautés permet un filet social fort et protecteur autour des enfants et des familles vivant des difficultés. Une politique de lutte à la pauvreté et une politique familiale qui va au-delà des services de garde pourront soutenir les parents en situation de pauvreté, qui comme tous les parents, aspirent au meilleur pour l’avenir de leurs enfants.
En terminant, nous vous partageons 2 lettres aux lecteurs publiées dans Le Devoir et rédigées par des membres du Mouvement. Elles portent bien nos profondes préoccupations mais aussi l’espoir que nous plaçons dans votre prochain rapport. Manques de perspective; Les parents dans l’angle mort.
Daniel Marineau
Délégué national
1 Pour en savoir plus sur les Universités populaire Quart Monde.
2 Réussir la protection de la jeunesse avec les familles vulnérables, mémoire déposé novembre 2019.
3 Bilan des DPJ/DP 2019.
4 Voir les Dimensions cachées de la pauvreté, mai 2019, « la dépossession du pouvoir d’agir ».
5 https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-et-soutien/directeur-de-la-protection-de-la-jeunesse-dpj/#c5338