Revue Quart Monde N°248 | Monde numérique, monde solidaire, monde solitaire?

La revue Quart Monde a l’ambition d’établir et de nourrir un courant de pensée issu de la vie des plus pauvres. Elle rend compte d’actions et d’études qui peuvent être des chances à saisir pour le monde de demain. Elle aborde les questions de société telles que les vivent ceux que la misère fait taire, ceux qui, à leurs côtés, cherchent à comprendre et agir, ceux qui veulent porter ces questions au cœur de leur profession et de leurs recherches.

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Introduction

Par Martine Hosselet-Herbignat

Dès les années 80, le Mouvement ATD Quart Monde mettait en place des projets pilotes : ateliers informatiques dans les quartiers oubliés, rencontres régulières autour d’ordinateurs avec des personnes vivant à la rue, collaboration avec Seymour Papert1 et expérimentation de ses travaux dans des ateliers Tortue Logo avec les enfants, etc.

Au 21ème siècle, l’évolution effective vers le tout numérique a pour effet qu’à l’illettrisme, à l’analphabétisme, et aux inégalités d’accès aux droits en général, s’ajoute désormais une nouvelle source d’exclusion, désignée habituellement sous le nom de « fracture numérique » ou encore d’ « illectronisme »2. Risque, ou chance à saisir, dans la mesure où la technologie peut se révéler être un outil permettant de résoudre des problèmes sociaux ?

Des associations comme Reconnect et Emmaüs Connect avec leur projet « WeTechCare » envisagent cette révolution comme inéluctable et développent une offre d’ateliers pédagogiques pour des personnes fragilisées par l’obligation de ces nouveaux apprentissages, – dont celles vivant dans la rue -, tout en accompagnant également des centaines de structures du tissu social et associatif, qui manquent de moyens de formation.

D’autres, tel Bernard Legros, réfractaires au numérique, rappellent à propos que la technique n’est pas neutre. En matière d’embauche par exemple, des laboratoires d’informatique rivalisent pour mettre au point des algorithmes et vendre des logiciels qui éliminent automatiquement certains CV selon des critères d’adresse, de décrochage scolaire, de passage par un dispositif d’insertion, etc. Les personnes en situation précaire sont lucides : « Il y a des risques qu’on maîtrise mal… : le piratage, les escroqueries… […] On ne peut pas effacer les données. Donc ça reste enregistré. C’est un inconvénient ça… »3. « Ça distrait, ça change les idées, et nous sort des problèmes, mais ça rend plus difficile le fait de faire confiance à son mari ou à ses enfants; on peut se sentir rejetées quand ils passent beaucoup de temps avec leur téléphone… »

Dans les pays les plus pauvres, des dizaines de milliers de personnes déshéritées et réfugiées vivent sur des décharges de déchets électroniques d’Afrique, mines d’or qui profitent à ceux qui exploitent leur travail d’esclaves.

Démocratiser et orienter le monde numérique de demain pour une meilleure maîtrise par tous reste un formidable défi. Il nous faut le relever avec pragmatisme, mais surtout sous l’enseignement constant des plus démunis dont l’univers vital est déjà envahi, et l’accès aux droits impacté.

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