« Couper l’aide sociale, c’est niaiseux ! »

Ça y est, depuis le 1er juin, la réforme de l’aide sociale est entrée en application. Les principaux changements concernent l’attribution du supplément de 129$ par mois (221$ pour un couple) pour une contrainte temporaire à l’emploi. Les personnes de 55 à 58 ans et les couples ayant des enfants de moins de 5 ans n’y auront plus droit. La logique est simple : en supprimant ces montants, le gouvernement souhaite encourager les personnes à se trouver un emploi.

Je pense moi aussi qu’il est important de soutenir les personnes qui souhaitent et peuvent travailler, afin qu’elles trouvent un emploi. Mais lors de notre rencontre d’Université populaire Quart Monde (UPQM), le 24 mai dernier, j’ai été une fois de plus frappé de voir combien des politiques de lutte contre la pauvreté peuvent être éloignées de la réalité des personnes qui la vivent. Et aussi combien la logique des décideurs paraît absurde quand elle est mise en perspective par le savoir d’expérience et la pensée de nos concitoyens les moins bien lotis.

« Pour retourner sur le marché du travail, j’ai besoin d’un revenu suffisant pour faire des projets d’avenir », ont affirmé des participants de l’UPQM. Il faut dire qu’avec 600$ par mois, une personne seule vit avec la moitié de ce qui est considéré nécessaire pour couvrir les besoins vitaux. Comment aller à la recherche d’un emploi quand on est mis de force dans un mode « survie »? Comment se déplacer, bien s’habiller, faire garder ses enfants ? Comment mettre de l’énergie dans des démarches avec le stress constant de la fin du mois ?

Une autre contribution à l’UPQM m’interpelle : « j’ai besoin d’un travail que j’aime et qui va à mon rythme. » Quels sont les emplois disponibles pour lespersonnes qui n’ont pas de diplômes ? Beaucoup de salaire minimum et de temps partiel, des conditions de travail difficiles, et toujours plus de productivité ! De plus,l’aide sociale est amputée dès qu’on dépasse un revenu de travail de 200$ par mois : « Vous voulez qu’on travaille, vous nous coupez quand on travaille. C’est niaiseux, ça ! »

Mais les participants de l’UPQM ne sont pas les seuls à le dire. Une récente note socio-économique de l’IRIS* explique qu’en rehaussant les montants de l’aide sociale pour les familles depuis 1997 au Québec, le nombre de familles bénéficiaires a baissé de manière significative. En d’autres termes, plus on donne aux personnes les moyens de répondre à leurs besoins de base, plus elles ont tendance à retourner sur le marché du travail.

Qu’est ce qui motive le gouvernement à couper dans l’aide sociale, alors que les citoyens concernés et les chercheurs s’accordent à dire qu’il serait bénéfique pour tout le monde de la bonifier ?

Pour ma part, je pense que cette orientation vient d’un préjugé tenace, qui consiste à croire (et faire croire) que les personnes bénéficiaires de l’aide sociale s’y complaisent et ne font pas d’efforts pour travailler. C’est faux, les études le prouvent et les principaux concernés nous démontrent l’inverse quotidiennement.

« Pour sortir de la misère, il faut une société solidaire qui élimine les préjugés », rappellent les participants de l’UPQM. C’est très juste, il est urgent de lutter contre ces préjugés qui nous gouvernent et maintiennent une partie des Québécois et Québécoises dans des situations de non droit !

David Régnier, volontaire international.

* IRIS (Institut de Recherche et d’Information Socio-économiques) : note socio-économique d’octobre 2012 : «  Les prestations d’aide sociale sont-elles trop généreuses ? »

Pour télécharger l’intégralité du bulletin Actualités Quart Monde no 116 au format pdf : AQM 116